Jacques Serena | Velvette
Velvette, de Jacques Serena, a été mis en scène février 2001 par Joël Jouanneau à Théâtre Ouvert, avec Jeanne Balibar et la guitare de Rodolphe Burger, et publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.
Quand j’ai appris que la chanteuse Nico était morte, ça faisait déjà pas mal d’années qu’elle l’était. Ça ne m’a pas étonné. Il y a des nouvelles comme ça, on les reçoit comme des confidences, des confirmations, simplement. [...] Tout ce que j’écris a toujours un rapport avec le Velvet Underground. Celui qui a choisi de s’en tirer. Se survivre, une des tentations. Celle qui a été jusqu’au bout des conséquences. L’autre tentation. J. S.
Le visage de la Velvette en tout cas est serein. Ou c’est eux, leur façon de le regarder, ou juste moi. Un tient à dire ce que ça lui a évoqué, le chant, le rythme, l’ensemble. Des robes, pour lui, belles, mais passées, mal repassées, des fringues, des lendemains de fêtes. Pour un autre ça faisait carrément hymne du plaisir et de la désolation. Et évidemment là ou là ça parle du vieux thème du tempo perdu, et les Divisions de la Joie, et les Leaders of Men. Le visage de la Velvette sourit, là, on dirait, presque. Et moi encore là, au-dessus d’elle de guinois, à la regarder plus ou moins sourire presque. Elle qui a son compte, qui l’a dit, que j’ai entendue. D’autres prétendent l’avoir entendu dire que c’était con. De là à les croire. Quoi con, con quoi. J’ai failli demander, mais le ton n’y aurait pas été, je le sais, ça n’aurait eu l’air de rien, d’une vanne. Et on s’en fout, ici, on ne s’écoute pas vraiment, n’essaie pas d’en avoir l’air. Et bon. Pas impossible après tout qu’ils l’aient entendue, pas de cette nuit qu’on l’entendrait dérailler. Elle, comme n’importe quelle autre, surtout quand, comme là, le matin risque de ne plus trop tarder. Je m’attends encore vaguement à ce qu’elle déplie son papier, à reconnaître une vieille page d’agenda, et qu’elle pointe du doigt une date entourée. Mais non. Tout ce qu’elle fait c’est rester les yeux fermés. Mais possible, vu le frémissement des lèvres que dans son souffle ils perçoivent ces choses qu’ils se répètent l’un à l’autre en soufflant. Du genre : All tomorrow’s parties I am dying because you have not died for me and the world still loves you. Conneries, ça grommelle encore, de-ci, de-là, va nous attirer la poisse. Pas nouveau, ces délires d’elle, ce serait bien d’elle, bien d’ici, bienvenu, mais justement. N’importe qui, ici, sûrement, peut facilement les ressortir à sa place, à force. Non seulement de les avoir entendus, mais aussi de les voir, parce qu’elle les a écrits, la plupart, on sait que c’est elle, sur tous les murs du coin, une nuit ou l’autre on l’a tous vue courir, spray à la main, ou un cutter, pour taillader les portes, quand on allait voir à trouver quoi faire, ou quoi boire, s’éclater, se sustenter et tout. Là ou là, autour, pas loin, certainement, il y en a, de ces mots d’elle, tracés au fil des nuits, des interminables fins de nuits. L’un ou l’autre, d’où il est, peut en voir. Et de temps en temps c’est moi. Là d’ailleurs c’est moi. Moi là à palper dans l’obscurité les mots sur le mur, oui, les aspérités du mur entrent en moi par le bout des doigts, cette vieille sensation, familière, je dirais, malgré le mot. Le mur pire que sec, l’écoeurement de l’ongle vibrant jusqu’à l’os sur ce plus quaride. C’est bien moi, moi quand on en est au point où la fatigue a cédé la place à la conscience aiguë de tout. Ma voix qui souffle, appelle, They walk, de cette voix d’ici, sourde, fatiguée, écrasant les syllabes, avec cette manie d’ici, quand ça va, que la suite on voit, de laisser tomber, laisser comme ça, en plan. Pendant que l’ongle suit le tracé dans le crépi. Pendant que les autres, restés derrière, ou autour, s’en foutent nettement.